Tranductions

La "ceinture" africaine du Soja

Le soja en Afrique : les grandes espérances. 
C'est la source de protéines la plus complète et la moins chère du monde. Pourtant, le développement du soja en Afrique est resté très timide. Sa relance pourrait venir d'un grand programme engagé par l'Afrique de l'Ouest.
Trente mille hectares de soja. Le Togo et La Côte d'Ivoire rejoint ainsi ce que certains spécialistes appellent pompeusement "la ceinture africaine du soja". Une ceinture qui s'étend bel et bien de l'Afrique de l'Ouest au Zimbabwe mais qui est encore bien mince. Avec 100 000 t/an, le Zimbabwe est le plus gros producteur d'Afrique sub-saharienne. Pourtant, il ne pèse pas lourd face aux géants du soja. Les Etats-Unis produisent 400 fois plus, le Brésil, 200 fois plus. En fait, le soja africain n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements.
Dans la plupart des pays, son introduction remonte aux années 60 mais c'est seulement à partir des années 80 qu'on a consenti de réels efforts pour sa vulgarisation. Sous les tropiques, les zones où il pleut entre 1200 et 1500 mm d'eau par an sont les plus favorables à la culture du soja. Cependant, on en trouve plus de mille hectares sur le périmètre agro-industriel de Boumango, au Gabon, où les pluies dépassent deux mètres par an. On reproche parfois au soja d'être une plante exigeante. En réalité, des essais effectués en 1983 au Cameroun ont montré que sa culture demandait moins de temps de travail que celle du haricot. Il faut le désherber plus souvent mais la récolte est deux fois plus rapide.

Déceptions au Cameroun et à Madagascar

Pourtant, comme pour beaucoup d'autres plantes nouvelles, la greffe du soja en Afrique n'a pas encore pris. Le Cameroun a lancé son projet soja en 1980. Après une phase expérimentale de trois ans, la vulgarisation a débuté auprès de 10 000 paysans. Mais le soja n'a pas convaincu les consommateurs et, malgré la diffusion d'un livre de recettes tiré à 60 000 exemplaires, l'opération a tourné court. Le plan soja de Madagascar n'a pas connu un meilleur sort. Le domaine de 30 000 ha aménagé à Mandoto, dans la province d'Antananarivo, n'a jamais été cultivé en totalité. En 1988, la société chargée de le mettre en valeur a finalement été dissoute. Une partie des terres, rachetée par des cadres du projet, continue d'être plantée en soja, mais sur une superficie inférieure à 1000 ha.Ces deux échecs n'ont pas découragé les avocats de la culture du soja en Afrique. Cette plante a en
effet énormément d'atouts. Ses graines ont une valeur nutritive exceptionnelle : elles contiennent environ 40 % de protéines et 20 % de graisses. C'est pourquoi on les utilise souvent pour fabriquer des aliments de sevrage pour bébés. Avec la graine dorée du soja, on peut également produire de l'huile, de la farine, du lait, du yaourt et du fromage. En "texturant" ses protéines, on obtient du "bifteck de soja" (l'incorporation de soja dans les steaks hachés est courante). Enfin, les germes constituent un plat très apprécié en Asie.Par ailleurs, les tourteaux de soja constituent l'essentiel des apports en protéines dans l'alimentation du bétail des pays industrialisés.Autre avantage du soja : cultivé un peu partout dans le monde (de l'Indonésie à la France et du Brésil à l'Egypte), il a bénéficié de recherches agronomiques très poussées dont les pays africains peuvent aujourd'hui cueillir les fruits .

Une graine dure à cuire

Si on peut tout faire avec le soja, si sa culture n'a plus de secrets, pourquoi tant de difficultés pour le développer en Afrique ? Le nœud du problème se situe au niveau de la consommation. On peut effectivement tout faire avec le soja à condition de savoir le transformer. Pas de difficulté tant qu'il s'agit d'extraire l'huile et de produire des tourteaux pour l'alimentation animale. C'est le traitement réservé à la plus grande partie de la récolte mondiale de soja. Mais les pays africains n'ont pratiquement aucune chance de s'imposer sur ce créneau où les Etats-Unis et le Brésil dominent le marché mondial. Le soja africain est donc plutôt destiné au marché local et à l'alimentation humaine. Or, dans ce domaine, seuls les pays asiatiques ont une expérience significative et ancienne. En Afrique, il faut un minimum d'audace pour investir dans des unités de transformation industrielle du soja : le produit est nouveau, la production requise pour amortir les installations est importante et les risques de rejet non négligeables. Or, les hommes d'affaires à la mentalité de pionnier sont bien rares. Des pays comme le Rwanda et le Cameroun ont donc préféré jouer la sécurité en misant sur la transformation artisanale ou l'auto-consommation. Si ce choix est moins risqué, il faut beaucoup de temps pour transmettre aux ménagères africaines le savoir faire nécessaire pour préparer les graines à domicile. Principal obstacle : "La graine de soja est dure à cuire". C'est ainsi que commence un livre de recettes diffusé au Congo. Cet ouvrage recommande de laisser tremper les graines dans l'eau pendant 12 à 24 heures avant de les mettre à cuire. Ce bain prolongé a souvent pour effet de donner au soja un goût de fève très prononcé que les consommateurs asiatiques sont seuls à apprécier.

Un concentré de protéines

La façon dont on prépare le soja en Asie n'est donc pas adaptée aux habitudes alimentaires africaines. D'autres modes de transformation sont à inventer. Au Nigéria, plusieurs décennies après l'introduction du soja, des femmes ont enfin trouvé une utilisation des graines qui s'intègre parfaitement à la cuisine d'Afrique de l'Ouest. Sans qu'aucun projet ou service de développement ne s'en mêle, le soja est venu progressivement remplacer les graines de néré (un arbre des zones de savane) dans la fabrication du "daddawa". Ce condiment riche en protéines que l'on appelle soumbala au Mali et Netetu au Sénégal est l'un des principaux composants de la sauce en Afrique occidentale. Habituellement, sa cuisson est extrêmement longue car les graines de néré sont très dures. Le soja, plus facile à cuire et encore plus riche en protéines que les graines de néré, a donc pris leur place. La fabrication du "daddawa" constitue désormais sa principale utilisation dans les zones rurales du Nigéria. Au Rwanda également, le soja a fini par s'imposer. On le cultive aujourd'hui sur environ 10 000 ha avec des rendements proches d'1 t/ha (soit trois fois plus qu'au Nigéria). Les producteurs ont également pris l'habitude de le consommer. Il est vrai que le Rwanda, avec une densité de population proche de 250 h/km2, connaît une situation semblable à celle de beaucoup de pays d'Asie : la terre manque et il faut donc produire beaucoup de calories alimentaires sur peu d'espace. Le soja est une plante providentielle dans ce contexte. Beaucoup plus riche en calories (à cause de sa teneur en huile) que les haricots locaux, il les surpasse également pour les protéines. Un atout considérable dans un pays où la viande est rare, faute d'espace pour le bétail. =Avec un hectare de soja, on obtient en effet autant de protéines qu'en élevant des bœufs sur dix hectares de pâturage. Qui dit mieux ?